Ce bonheur profond, cette joie profonde, c’est l’essence même de la vie et nous l’avons tous au fond de nous. Il ne faut pas la recouvrir d’ordures. Nous devons sans arrêt permettre à cette nature de Bouddha de remonter à la surface. Cette nature de Bouddha, c’est l’esprit qui ne s’accroche à rien, c’est la joie pure de l’existence, « C’est l’eau toujours pure. » Même si elle est salie, c’est de l’eau pure. À nous de ne pas boire les salissures, mais seulement l’eau pure. C’est toujours possible.

Pour enseigner cela, les maîtres zen utilisent des images, comme celle de l’eau que l’on peut souiller de nos élucubrations, de nos accusations, de nos fausses croyances, de nos superstitions, de nos illusions. Bien sûr, il faut décider : est-ce qu’on veut boire l’eau claire ou est-ce qu’on veut boire la merde ? La question se pose en ces termes. Tout l’enseignement des maîtres zen porte sur ce point. Autre image — une image n’est pas la réalité, mais regardons la avec le sens que veut lui donner Bouddha. Pour attraper les singes, on attache une boîte au pied d’un cocotier, percée d’un trou de la largeur d’une main, et on y met une noix dedans. Le singe vient, il prend la noix dans la boîte, les hommes arrivent. Le singe hurle, il hurle quand il voit les hommes arriver parce qu’il voit bien qu’il est piégé, mais il ne veut pas lâcher la noix, il est prisonnier.

On peut dire : « Il n’a qu’à ouvrir la main, lâcher la noix et partir. » Mais il ne peut pas le faire, car il veut la noix de coco, même s’il veut la liberté. Il est intéressant de voir que l’animal choisi dans cette histoire est le singe, le plus malin des animaux. Les grands singes sont, neurologiquement, très proches des êtres humains ; leur génome est à 99% équivalent à celui des êtres humains.     

Cette espèce intelligente se fait piéger à cause de son intelligence. Le singe cherche une façon d’avoir et la noix et la liberté. Une belette, moins intelligente, qui se fait prendre au piège, a la capacité de se couper la patte elle-même, pour aller vers la liberté. Là, on ne demande pas au singe de se couper la main, seulement de lâcher la noix de coco, et ainsi de recouvrer sa liberté.         

Et bien l’être humain, animal très intelligent, entre la souffrance et la libération possible, cherche une troisième voie : comment faire, avec son intelligence, pour avoir le beurre et l’argent du beurre ? Il cherche sans cesse des techniques.  

Au lieu de cela, nous ferions mieux d’aller à l’origine. L’origine qui concerne la liberté de l’homme et celle du singe, c’est de lâcher prise. Ce qui les emprisonne, c’est qu’ils ne savent pas lâcher prise. Inutile de chercher pourquoi il est arrivé dans cette situation ? On peut accuser les autres, on peut disserter une vie entière, mais l’origine de sa souffrance, de son enfermement, c’est là, c’est toujours ici et maintenant.       

Taiun Jean-Pierre Faure (Kanshoji Shosan Février 2006)